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Posté le May 24, 2023
En tant que dispositif interactif, immersif et innovant, la réalité virtuelle est une idée facile à considérer lorsqu’on veut développer des simulations. Notamment dans le secteur de la formation, où l’on va chercher à utiliser ce type de dispositif pour confronter des opérateurs, lors d’animations ou activités, à des outils, machines ou véhicules virtuels avant de les lâcher face à leurs équivalents réels, ce faisant réduisant à la fois la facture d’une formation sur le terrain et les risques encourus.
Les véhicules ont toujours fait partie des sujets privilégiés des développeurs de simulations puisqu’ils sont en fait des machines imposantes, coûteuses et potentiellement dangereuses. Sans surprise, le secteur de l’aviation a été précurseur dans l’utilisation de simulateurs pour former les pilotes.
Alors, pourquoi ne pas systématiquement combiner réalité virtuelle et simulation ? Sur quels critères peut-on juger qu’une simulation de véhicule dans un casque de réalité virtuelle immersif est une bonne ou une mauvaise idée ? Voici une tentative de réponse issue de nos expériences chez Immersive Factory.
Apprendre en VR ? Être immergé dans un véhicule ? Conduire comme en vrai mais sans risque ? Avoir du matériel high-tech pour la formation ? Le cocktail, en lui-même, est séduisant. Les pièces ont l’air de s’emboiter naturellement avec satisfaction. Si tout le monde est alléché, alors c’est forcément une bonne idée !
En plus, les simulateurs sont très pertinents pour répondre à des problématiques de formation puisqu’ils reproduisent au plus près les conditions réelles. On peut y reproduire presque tous les éléments du véhicule et de son environnement usuel. On peut fidèlement représenter des modèles de véhicules souhaités, et simuler leurs caractéristiques physiques. De cette façon, les apprenants ne seront sûrement pas dépaysés !
Grâce à la composante immersive, les apprenants oublieront totalement le contexte extérieur (ils sont en formation, potentiellement scrutés, évalués, jugés) et se comporteront de manière naturelle, honnête et équivalente de tout point de vue à leur comportement réel.
Voilà trois magnifiques idées reçues. Pour les mettre au défi de la réalité (virtuelle), je vous propose de l’exposer à la critique, et plus particulièrement celle de la technique, l’expérience et la science.
Traditionnellement, les jeux de course automobile ont toujours eu une inspiration simulationniste : l’objectif est de se sentir comme au volant d’une voiture sur un circuit. On peut donc s’intéresser à la manière dont ce secteur s’est emparé de l’arrivée des casques de réalité virtuelle sur le marché. En voici quelques exemples significatifs.
Trackmania Turbo (2016) suit dans la lignée des précédents jeux (non VR) de la série en proposant une expérience moitié course automobile, moitié montagnes russes. On y joue assis sur du matériel câblé (à l’époque il n’y avait que ça) et malgré ça, les développeurs d’Ubisoft ont appliqué des choix prudents :
Project Cars 3 (2020) bénéficie de tous les développements déjà menés pour Project Cars 1 (2015) & 2 (2017) par Slightly Mad Studios. La compatibilité VR de la série a débuté en 2016, même si quelques soucis techniques perdurent (interface peu adaptée à la VR, qualité graphique légèrement moindre que sur écran…). Le côté simulation est recherché non seulement sur la physique de la conduite, mais aussi sur le côté double numérique : l’objectif est de donner aux joueurs un grand choix de véhicules et de circuits aussi fidèles à la réalité que possible. Cependant, sous l’influence de l’éditeur, chaque nouvelle itération de la licence s’éloigne du côté simulation et se rapproche du côté arcade afin de faciliter la prise en main aux néophytes.
Quoi qu’il en soit, si le mode VR a l’air apprécié par les joueurs équipés, il n’est ici considéré que comme un périphérique qui remplace l’écran, point. En fait, son unique apport, nécessaire et suffisant, est de pouvoir tourner la tête pour mieux apprécier les distances et regarder dans ses rétroviseurs. Un pilote sérieux doit apparemment disposer d’un simulateur de course composé d’un volant et d’un pédalier bien avant de songer à la VR. D’ailleurs, pour tout accompagnement du néophyte, la page produit se contente de conseiller de s’habituer au dispositif en commençant par rouler seul sur un circuit bien plat.
Sur ce même créneau de la simulation simplifiée, on peut trouver d’autres titres populaires qui sont entrés sur la piste de la VR, comme Gran Turismo 7 (2023).
Dans un tout autre style, des jeux très “arcade” tels que Dash Dash World (2021) proposent une expérience moins sérieuse mais plus riche, dans la lignée de ce que pourrait être un Mario Kart en VR. Prenant le parti de se servir du casque mais aussi des contrôleurs VR, pour attraper des objets par exemple. L’éditeur assume son parti pris risqué et met à disposition des joueurs un panel de paramètres dont le but est d’atténuer la cinétose. En effet, beaucoup d’informations peuvent surgir devant les yeux du conducteur, notamment car les circuits sont fantaisistes et que les autres protagonistes ont bien des façons d’interagir avec (comprendre : d’embêter) le joueur. Différentes options sont donc disponibles comme un vignettage dynamique en fonction de la vitesse, l’ajout d’une ossature visuelle au véhicule pour aider à garder ses repères, ou encore l’apparition d’un point d’ancrage visuel loin devant le véhicule pour éviter de trop regarder sur les côtés.
Commençons par prendre en compte les besoins d’un simulateur et mettons cela en parallèle avec la réalité du matériel.
La première illusion à outrepasser est celle que c’est la capacité d’un dispositif à être immersif qui le rend propice au développement d’un simulateur. C’est au moins historiquement faux. En 1979, quand la première itération de Flight Simulator a vu le jour, les modalités immersives ne couraient pas les rues. Ce sont les capacités de calcul des machines qui ont rendu les simulateurs physiques possibles. Difficile de simuler un véhicule sans physique… Or, aujourd’hui, les casques de réalité virtuelle les plus utilisés (et utilisables) sont des appareils autonomes, c’est-à-dire que l’appareil embarque tout ce dont il a besoin dans ce petit boîtier agrémenté de lentilles optiques, qu’on s’attache sur le visage. Il est évident qu’on ne peut pas faire rentrer une puissance de calcul démesurée dans ce boitier, d’autant plus qu’il faut prendre en compte la vitesse à laquelle toutes ces opérations vont drainer sa batterie. Aujourd’hui encore, lorsqu’on souhaite simuler fidèlement un rendu 3D ou des calculs physiques, on a besoin d’un dispositif plus encombrant et moins nomade.
L’autre difficulté liée au matériel vient de ses limites techniques actuelles, notamment :
Ces trois points induisent un risque élevé de cinétose (aussi appelée “mal du simulateur” ou motion sickness). Toutes les sociétés sérieuses qui développent des outils de formation en VR sont unanimes : rendre les apprenants malades ne donne pas de bons résultats et ternit l’image de cette technologie.
Au-delà des limites de la technologie, il convient de prendre en compte les biais et les attentes des utilisateurs vis-à-vis des simulateurs, qui apparaissent bien souvent dans l’imaginaire commun comme des jouets pointus et robustes.
En effet, chacun s’attend à des conditions proches du réel. Hors, la prise en main d’un simulateur est toujours différente de celle du véhicule réel correspondant, et elle nécessite toujours un temps d’apprentissage, d’adaptation, d’autant plus lorsqu’on introduit la modalité VR dans le mélange. Ce ne sera pas aussi intuitif pour un apprenant que de se servir du véhicule réel qui fait son quotidien. Si ces différences ne sont pas parfaitement expliquées par le formateur et acceptées par les apprenants, et qu’un temps conséquent n’est pas dédié à la prise en main des contrôles, la frustration et l’incompréhension peuvent s’inviter et noyer le message pédagogique dans la friction technique et la mauvaise foi.
Enfin, il faut composer avec un large spectre de comportements des utilisateurs, qui sont d’un côté conscients d’être dans un exercice de formation, observés, potentiellement évalués, et de l’autre curieux, fascinés ou excités par cette technologie innovante, ce jouet du futur. Si certains essaieront de jouer le jeu avec honnêteté, d’autres s’en serviront avec une légèreté déplacée, minimisant les conséquences virtuelles de leurs actions irraisonnées, et d’autres encore feront preuve d’une prudence exagérée, en décalage complet avec les contextes réels qui les poussent quotidiennement à prendre des risques (plus ou moins) mesurés.
Depuis 2019 en France, le quota d’heures de conduite sur simulateur ou en réalité virtuelle lors des leçons du permis de conduire est passé de 5 à 10 heures. L’objectif est de faire baisser le coût de la formation au permis de conduire. Dans d’autres pays, les simulateurs sont encore plus présents, et la discussion autour d’épreuves en simulateurs pour réduire la variabilité de difficulté de l’examen final existe. À Singapour, il y a même un nombre minimum d’heures d'entraînement sur simulateur à réaliser avant de pouvoir passer le permis, dont les scénarii sont élaborés à partir des types d’accidents les plus fréquents.
Si l’on se penche un peu sur les usages, les avantages et les inconvénients liés à l’apprentissage de la conduite en simulateur, on peut se faire une idée du pourquoi de leur existence.
À quoi ça sert ?
Quels sont les avantages ?
Quels sont les inconvénients ?
Synthèse
En essayant de démêler ces différentes pratiques, on se rend compte que certains arguments sont plus pertinents que d’autres. Notamment, étant donné que l’usage du simulateur est principalement destiné aux conducteurs débutants, tout l’intérêt de l’environnement contrôlé offert par le simulateur s’envole. En effet, un véhicule auto-école est équipé d’une double commande, et l’enseignant est formé à la prise de contrôle du véhicule en cas de besoin urgent. De plus, les premières heures qui concernent la prise en main du véhicule sont souvent effectuées sur des parkings ou dans des lotissements déserts. Il n’y a donc pas vraiment de problématique de réduction des risques.
D’autre part, les inconvénients, même s’ils peuvent être atténués par des simulateurs plus immersifs (mais plus coûteux), limitent fortement l’intérêt de l’usage du simulateur passé les premières heures.
Que reste-t-il ? La possibilité pour les auto-écoles de réduire la facture totale pour l’élève, afin d’attirer plus de clients au budget modeste, est clairement l’idée motrice pour investir dans un simulateur. Pour que l’appât fonctionne, l’auto-école ne peut pas faire beaucoup de marge sur les heures en simulateur, mais elle gagne en souplesse logistique car un élève en simulateur ne mobilise ni véhicule ni moniteur.
Chez Immersive Factory, nous avons réellement rencontré ces contraintes et ces comportements, et nous nous sommes souvent retrouvés dans la situation bipartite du développeur de logiciel et du formateur, tous deux assis entre le matériel et l’humain, à devoir “faire avec”, “atténuer”, “contourner”, “contrer” et “expérimenter”. Cela n’a été ni simple, ni une science exacte.
Aujourd’hui, nos expériences de recherche et développement concernant les simulations de conduite en réalité virtuelle nous amènent à proposer trois approches différentes, avec toutefois une nette préférence pour l’une d’entre elles.
La première approche consiste simplement à accepter les limitations susmentionnées (cinétose, temps d’adaptation et anti-jeu), à faire avec, en quelque sorte. Elle présente l’avantage d’être accessible en termes de temps de développement et de budget, et elle peut engendrer des discussions intéressantes si le simulateur intègre clairement un thème central, comme la sécurité. Cette approche repose cependant beaucoup sur la capacité (voire le talent) d’un animateur dédié à compenser la friction technique, à gérer les éventuelles crises de mauvaise foi, et à identifier rapidement les problèmes de cinétose avant que quelqu’un se rende malade au point de dissuader les autres.
La deuxième approche, elle, refuse ces limitations. Elle s’appuie sur une approche de face à l’aide d’un gros budget : monter un simulateur complet avec cockpit, siège, pédalier, volant, levier de vitesse…, développer des simulations détaillées, complètes et performantes, acheter un PC gaming et un casque VR dernier cri pour réduire la cinétose, former des animateurs sur le dispositif… bref, ne rien laisser au hasard. Les problèmes techniques et d’usage seront ainsi poncés jusqu’à l’oubli, mais le coût de développement et de maintien en état du dispositif sera tel qu’on ne pourra pas s’empêcher de le comparer à celui d’un véritable véhicule et d’un lieu d'entraînement dédié.
Après avoir flirté avec les deux approches précédentes chez Immersive Factory, nous avons eu besoin de prendre du recul et de revenir à la source de nos besoins. Nous ne faisons pas de simulateurs, mais des ateliers de sensibilisation. Nous ne sommes là ni pour rendre le réel au plus près, ni pour entraîner un pilote, mais pour former et sensibiliser, ce qui autorise une distance au réel.
Puisque nous travaillons sur des outils de sensibilisation et de formation, nous devons sans cesse nous demander quel message pédagogique primordial ces outils sont supposés aider à envoyer. Ce message peut être différent selon le type de véhicule ou de métier ciblé, mais il est toujours (au moins en partie) à destination du comportement des conducteurs. Dans notre cas, il est souvent très lié à des bonnes (ou mauvaises) pratiques de sécurité. Or, il s’avère que dans de nombreux cas, si on se pose les bonnes questions, on se rend compte qu’un simulateur n’est pas particulièrement approprié pour envoyer ce message. Concrètement, on peut cristalliser des questions du type :
On peut continuer la liste de ces questions assez longtemps. Le fin mot de l’histoire, c’est que le simulateur n’est vraiment pertinent que pour des cas très spécifiques. Lorsqu’on souhaite utiliser une technologie innovante pour la formation, il est crucial de se poser la bonne question : quelles sont les forces de ce dispositif qui peuvent m’aider à délivrer mon message ?
Toute la force d’un simulateur réside dans sa capacité à permettre à l’utilisateur d’exercer un contrôle précis et à la causalité proche du réel sur une situation particulière (inspirée du monde réel ou pas). Un simulateur permet donc facilement de faire passer des messages du type : je sais utiliser/piloter ce dispositif/véhicule ou pas. Il peut nous informer et nous former sur des compétences principalement techniques.
Quelle est, maintenant, la force de la réalité virtuelle ? L’effet Whaou ? Sans doute… Pour combien de temps ?
Chez Immersive Factory, nous sommes convaincus que la plus grande force de la réalité virtuelle est d’impliquer le corps pour mieux jouer avec l’illusion de contrôle, faire vivre aux joueurs la responsabilité de leurs actes. Si on amène l’utilisateur à impliquer son corps pour affecter l’environnement virtuel, il ressent une plus grande sensation de contrôle que, disons, s’il répond à un quizz avec une télécommande. Même si l’action revient au final à prendre une décision, les métaphores d’interactions physiques possibles en VR font une vraie différence. Une fois cet état atteint, on peut jouer sur la quantité ou la qualité du contrôle donné à l’utilisateur, et même pourquoi pas… lui reprendre totalement (chose difficile à imaginer dans un simulateur) ! Et si on veut discuter de sécurité avec un apprenant, y a-t-il un meilleur moment qu’après une perte de contrôle ?
L’exemple extrême qui justifie l’usage de simulateurs est le secteur de l’aviation. On se sert des simulateurs de vol pour la formation initiale des pilotes, ou pour leur faire découvrir un nouveau modèle d’engin. On s’en sert pour apprendre un savoir-faire, plus qu’un savoir-être. Les risques liés au pilotage d’un engin aérien sont simplement vertigineux, les procédures doivent être maîtrisées sur le bout des doigts. Et enfin, le coût et l’encombrement du véhicule réel est prohibitif. Même extrêmement poussé, un simulateur sera bien moins cher à construire et à maintenir.
Ce n’est pas un hasard si l’histoire des simulateurs est intimement liée à l’histoire de l’aviation (civile et militaire). La série des Flight Simulators a débuté en 1979 et se poursuit de nos jours, et le plus ancien simulateur analogique de vol est daté de 1929 aux Etats-Unis. Aujourd’hui, on peut presque apprendre à piloter un appareil depuis chez soi. On peut se procurer un simulateur basique pour quelques centaines d’euros, ou, pour les plus investis, s’en construire un plus poussé pour quelques milliers. Vous comptiez faire quoi, avec la chambre de vos enfants, quand ils seront partis ?
Toutefois, même ce secteur très particulier remet parfois en question ses a priori sur son besoin en simulateurs, comme le montrent les travaux de Philippe Lépinard, qui cherche à poser un socle pédagogique commun pour la formation des pilotes, afin de recentrer un peu la formation sur les utilisateurs plutôt que sur la technologie, et éviter de confondre la maîtrise technique d’un outil avec la capacité à enseigner le vol.
Si vous êtes arrivés jusqu’ici, bravo pour votre ténacité ! Essayons de synthétiser cette avalanche d’expériences et de réflexions :